LE MONDE DE CELTILL
Interview
Après la conquête de la Gaule par Jules César, la culture celtique commença à être influencée par la culture romaine, et les Celtes (que les Romains appelaient Gaulois) devinrent des Gallo-Romains.
Evelyne Brisou-Pellen, vous avez choisi pour ce roman un langage assez moderne…
Le problème du langage s'est posé à moi de manière cruciale, parce que mon personnage est jeune, qu'il parle à la première personne… et dans une langue dont on n'a pas la moindre idée.
Lui donner un langage démodé (genre XVIIIème) sous prétexte qu'il vivait au Ier siècle ? Pourquoi ? Lui, à son époque, avait l'impression de parler une langue moderne. Comme nous aujourd'hui. Ce qui rendra donc le plus "vrai" est de traduire ses paroles en langage d'aujourd'hui. Cela a été mon choix.
On ne connaît donc pas la langue des Celtes…
Pas la moindre phrase. Seuls quelques mots isolés sont parvenus jusqu'à nous. Par exemple :
Mor ou Mori signifie “mer”, comme dans MORbihan (mer-petite ) ou ArMORique (près de la mer)
Rix = roi. Ver-cingeto-rix signifie = super(ver) roi (rix) des guerriers (cingeto).
Comboros : encombrement de pierres
Dunum = chateau, forteresse.
Ces Celtes, que sait-on d'eux ?
On a peu de certitudes, puisqu’ils n’ont pas écrit leur histoire. Nos connaissances viennent de l’archéologie et des auteurs grecs et latins - dont il faut manier les textes avec prudence car, pour eux, les peuples ayant d'autres langues et coutumes étaient des “barbares”.
On a aussi des récits anciens et légendaires - surtout d'autres pays celtiques comme l’Irlande et le Pays de Galles. Presque tous les Gaulois étant des Celtes, nos cultures étaient très voisines.
Vous voulez dire que nos ancêtres - à nous tous - sont des Celtes ?
Pour une grande partie de l'Europe, oui. Le berceau des Celtes est... la Suisse ! Puis ils se sont répandus partout. En France, il n’y a guère que les habitants du pays basque et des environs de Marseille qui ne sont pas d’origine celtique.
Pourtant, on pense souvent que seuls les Bretons d’aujourd’hui descendent de ce peuple.
C’est parce que la situation excentrée de l’Armorique la protégeait des invasions : les Celtes y sont donc davantage restés entre eux. Même les Romains ont été peu nombreux à venir s’y installer. Ensuite, vers le Vème siècle, les Armoricains ont été “receltisés” par les Bretons qui fuyaient leur pays (l’actuelle Grande-Bretagne) devant les Angles et les Saxons. Ils ont finalement pris le nom des nouveaux arrivants, et l’Armorique est devenue Bretagne.
L'ÉPOQUE
À quel moment se passe cette histoire ?
Elle débute en juillet 67, sous le règne de Néron, un siècle après la conquête de la Gaule par les Romains. Cependant, je ne peux pas évoquer cette date dans le texte, puisqu’on ne comptait pas encore - comme nous aujourd’hui - à partir de la naissance de Jésus-Christ.
Un petit rappel historique, peut-être ?
Avant l’arrivée des Romains, au 1er siècle avant J-C, la Gaule (désignée ainsi par les Romains) était occupée par un grand nombre de peuples celtes.
Jules César fit sa conquête de 58 à 51 avant J-C. En 56, il battit les Vénètes (peuple de la région de Vannes) et leurs alliés - en particulier les Osismes dont la “cité” (le territoire), occupait toute la pointe de l’Armorique (Finistère et une partie des Côtes d’Armor d’aujourd’hui).
En 52 avant J-C, César achève sa conquête par sa victoire à Alésia sur Vercingétorix et ses guerriers venus de toute la Gaule.
Dans le texte, vous faites aussi allusion à la bataille d'Uxellodunum
Uxellodunum était un oppidum du territoire des Cadurques (Quercy actuel), mais les avis restant partagés sur sa localisation. Vayrac ? Capdenac ? Dans “la guerre des Gaules”, César décrit le long siège qu’il a mené contre la ville. Finalement, les Romains ont détourné, à l'aide de canalisations, la source qui l’alimentait, et les habitants ont été vaincus par la soif.
Que s'est-il passé après cette "guerre des Gaules ?
Les Romains se sont installés dans le pays. Les Gaulois, évidemment, n’étaient pas ravis de se voir confisquer leurs terres au profit de colons romains, ni de payer des impôts à Rome. Il y a donc eu de nombreuses révoltes. Malgré tout, peu à peu, la culture gauloise et la culture romaine se sont mêlées, au point que nous appelons les habitants de la Gaule de cette époque les “Gallo-Romains”.
En sait-on plus sur l'époque gallo-romaine que sur l'époque celtique ?
Oui, nous avons plus de textes et de données archéologiques (ils construisaient "en dur", ce qui laisse plus de traces). J’ai rassemblé toutes nos connaissances actuelles et me suis basée à la fois sur ce qu’on sait et ce qui paraît hautement vraisemblable.
LES LIEUX
Où se trouve le village de Celtill ?
Dans la baie entre Saint-Michel-en-Grève et Saint-Efflam, (Côtes d’Armor). Cependant, on ne sait pas à quoi ressemblait les lieux à cette époque : à cause du réchauffement climatique, la mer a beaucoup avancé au fil des siècles, et des villages côtiers ont certainement été engloutis.
On sait que cet endroit était habité aux temps gallo-romains, car on y a retrouvé des vestiges : des objets, des traces d’habitations, un temple sur une colline et, surtout, des thermes bien conservés, dans un endroit nommé aujourd’hui “Le Hogolo”, au bord d’une rivière dans laquelle la mer remonte à marée haute. Ce sont ces thermes qui ont déclenché en moi l’idée de cette saga.
On connaît des noms de villages ?
À ma connaissance, aucun. Je les ai donc baptisés à mon gré, en conservant toutefois l’esprit de l’époque, et à partir de vrais mots gaulois. Magos signifiant "marché" et Mantalo "route", des villages se sont forcément appelés ainsi. D'ailleurs, on en trouve aujourd'hui qui ont des noms très voisins. Randobriga est une hauteur fortifié (briga) de la frontière (randa).
Moricambo signifie “Courbe de la mer”… et j'ai découvert par la suite qu'un village de Grande-Bretagne (dans une région de langue celtique), et qui est situé de la même façon en fond de baie, porte presque que le même nom (Morecambe). J'ai été ravie de m'apercevoir que je ne m'étais pas fourvoyée.
Les Celtes possédaient-ils des villes ?
Peu. Ils vivaient plutôt dans des villages éparpillés (les vici) faisant partie de cantons (les pagi), et appartenant à une fédération de tribus (la cité) comme celle des Osismes. Ici et là, un oppidum, sorte de forteresse-refuge, défendait le territoire. Certains étaient habités - on pouvait alors les considérer comme des villes - d'autres ne servaient apparemment que pour se replier en cas d'attaque.
Et les Gallo-Romains ?
Les Romains ont édifié beaucoup de villes en Gaule. Certaines à partir d’un oppidum celtique, d’autres dans des endroits où il n’y avait rien auparavant, ce qui leur a permis d’organiser l’espace selon leur propre modèle, toutes les rues se coupant à angle droit.
On connaît des noms sans pouvoir toujours être sûr de leur localisation, car elles figurent sur de très anciennes cartes qui, hélas, sont loin d’avoir la précision des nôtres. Pas de problème pour Lugdunum (Lyon) ou Condate (Rennes). Pour les histoires de Celtill, j'ai aussi choisi des villes assez "sûres" : Vorgium (Carhaix), Fanum Martis (Corseul), Noviodunum (Jublains).
Leur nom est souvent formé de mots gaulois métissés de romain mais, le gaulois ayant apparemment une ressemblance avec le latin, on ne sait pas jusqu’à quel point. Juliomagus (Angers) signifie marché (magos, gaulois) de Jules (Julius, romain).
D'autres noms restent typiquement celtiques : le nom de Lyon, Lugdunum, signifie “forteresse du dieu Lug”. On retrouve “dunum” dans le nom de beaucoup de ville, par exemple Subdunum (Le Mans).
LES GENS
Et les gens, leur nom ?
Les Gaulois ne portaient généralement qu’un seul nom, tandis que les Romains en avaient trois : le prénom, le nom, le surnom. Selon les époques, c’est soit le prénom, soit le surnom qui était personnel. Au 1er siècle, le nom de famille était généralement composé des prénom + nom (ou nom + surnom) d’un ancêtre.
Jules César n’avait pas pour prénom Jules. Il s’appelait Caius (prénom) Julius (nom de famille) Caesar (surnom). Pourquoi ce surnom ? Les avis sont partagés : ou parce qu’il était né par césarienne, ou parce qu’un de ses ancêtres avait été tué par un éléphant (Caesar en carthaginois) - et, dans ce cas, il s’agirait d’un surnom familial.
En Gaule, c’était plutôt le surnom qui différenciait les personnes.
Un Gaulois devenant citoyen romain prenait souvent le nom d’une grande famille existante, ou d’un de ses chefs, auquel il ajoutait son ancien nom (transformé ou non), devenu son “surnom” et qui se plaçait derrière. Verticos prend le nom de Fiatus Admetus Verus.
Les noms que j’utilise dans mon roman ont tous été portés à cette époque.
J’ai inventé celui du gouverneur, car on ne connaît pas le gouverneur pour cette année-là. Mais l’un d’eux toutefois s’est vraiment appelé Olibrius (au IIIème siècle), ce qui n'était pas un nom rare, puisqu'un empereur l'a également porté au Vème siècle.
Y avait-il vraiment des oculistes ? Des clés ? Savait-on fabriquer du béton ? Du verre ?
On a retrouvé beaucoup de cachets de pierre d'oculistes : ils leur permettaient d’imprimer leur ordonnance sur les bâtonnets de collyre.
Les clés étaient plus simples qu’aujourd’hui et fonctionnaient différemment. On ne les tournait pas, on les faisait remonter dans la serrure puis on les déplaçait horizontalement.
Mortier, béton, ciment n’avaient pas la même composition que les nôtres, mais étaient très solides, puisqu’on en retrouve encore intact aujourd’hui. Le mortier, par exemple, était fait de chaux, de sable et d’eau, auxquels on ajoutait de la brique pilée (ce qui le rendait d’un rose orangé).
Le verre de base était vert bleuté. Bien sûr, les vitres coûtaient très cher et il n’y en avait que sur les fenêtres des maisons riches et sur les thermes. On a retrouvé des perles de verre, de nombreux flacons et - à Noviodunum en particulier - des chutes de verre provenant du soufflage.
Leurs vêtements ?
Les Gaulois portaient des vêtements très colorés (à carreaux, rayures...) : tunique, braies (genre de pantalon), sayon (cape étroite) ou cucullus (manteau court à capuchon). Bien que cela semble étonner beaucoup de lecteurs, on a aussi retrouvé des chaussettes très bien conservées.
Les Romains mettaient une tunique unie et un pallium (manteau). La toge était réservée aux “citoyens”, mais se portait de moins en moins.
LA RELIGION
Les Gallo-romains vénèrent-ils des dieux romains ou des dieux gaulois ?
Les Gaulois ont continué à honorer leurs propres dieux, qui étaient très nombreux. Malheureusement, on les connaît mal, toujours à cause de l'absence de textes. Les Romains en parlent de ces dieux, mais en les appelant souvent du même nom que des leurs, si bien qu’on a un peu de mal à s’y retrouver. On pense que Lug correspondrait au Mercure romain, Bélénos à Apollon, Diane à Sirona, mais il y avait certainement des différences.
Par exemple, le Taranis gaulois était le maître de la foudre, comme Jupiter, mais il était sans doute aussi le maitre du destin (représenté par la roue), Teutatès (ou Toutatis) est dieu de la guerre comme Mars, mais aussi de la paix, et protecteur des tribus.
D’autres dieux sont restés uniquement gaulois. César dit que le principal se nommait Dis-Pater, cependant on n’a aucun autre témoignage sur lui. On connaît mieux Cernunnos, le dieu à ramure de cerf, Épona qu’on représente toujours à cheval, Sucellos dont une statue en pierre a été retrouvée sur le territoire des Osismes. On sait aussi qu’il y avait beaucoup de petits dieux et déesses des sources, des forêts etc.
On a retrouvé à Corseul comme à Jublains beaucoup de statues de déesses faites au moule (on a même découvert des moules), surtout des Vénus représentées debout, et des déesses-mères assises dans un fauteuil d’osier, allaitant un ou deux enfants.
La Brigit irlandaise, correspondant à la Minerve des Romains et à Bélisama des Celtes, est la déesse des artisans et des artistes. On en a découvert une jolie représentation en bronze - qui m’a servi de modèle pour décrire celle que possède Imrinn.
Les sanctuaires gallo-romains conservent souvent l’aspect des anciens temples gaulois : un enclos (péribole) dans lequel se trouve un temple souvent carré. Ce temple se compose d’une galerie à colonnes entourant la cella où est installée l’image du dieu.
Le laraire, d’origine romaine est un petit autel installé dans la maison pour vénérer les ancêtres et les dieux du foyer.
Leurs prêtres étaient des druides. Que sait-on à leur sujet ?
De ceux de Gaule, pas grand chose, puisqu’ils refusaient absolument de mettre par écrit leur tradition. Les Romains en parlent un peu (César, Pline, Diodore de Sicile, Strabon…). Nous possédons aussi des textes celtiques d’Irlande et du Pays de Galles, où la coutume est restée vivante assez longtemps pour être retranscrite au Moyen-Age.
Cette fameuse hydre enfermée dans le rocher nous intrigue…
Moi aussi. J’ai eu beau coller mon oreille au grand rocher, je ne l’ai pas encore entendue.
Est-ce une hydre ou un dragon à une seule tête ? Je ne peux me fier qu’à ce qu’on raconte, et les avis divergent.
Certains prétendent que le monstre a un œil rouge au milieu du front, d’autres des yeux verts striés d’or. Il mesure de trois... à trente mètres de long, il a des écailles vertes, des cornes, un visage humain, parfois plusieurs têtes.
J’ai voté pour l’hydre et ses sept têtes car, aux temps gallo-romains, tout le monde connaissait l’histoire d’Hercule et de l’hydre de Lerne.
À ce qu’on dit, au Vème siècle le dragon était bien réveillé et réclamait pour son repas de Noël une jeune fille de sang royal. Il aurait été mis hors d’état de nuire par le roi Arthur et son compagnon saint Efflam. Ouf ! Parce que c’était un rusé, ce dragon : il marchait à reculons pour qu’on ne puisse pas suivre ses traces.
Vous trouverez d'autres compléments "pour en savoir plus" en annexe à chaque volume de "la tribu"
Le jour ou le ciel a parlé
La malédiction du sanglier
Les six têtes de l'Hydre
La lumière du menhir